Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes, par Yves Léopold Monthieux !


Rédigé le Dimanche 10 Novembre 2019 à 15:46 |
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Préanbule

NB. Cette tribune a déjà été publiée sur plusieurs supports, y compris dans France-Antilles, en août 2019. Certains d’entre vous l’ont déjà lue. Ils voudront bien me pardonner de la répertorier dans mes Contrechroniques, en le précédant du commentaire suivant :

Le gouvernement de l’époque et le très parisien Front Antillo-Guyanais pour l’Autonomie (en réalité pour l’indépendance), furent les seuls à croire en l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique. Prenant son désir pour la réalité, le FAGA était convaincu que l’OJAM était porteur au sein de la population martiniquaise d’une volonté séparatiste montante, à laquelle les membres de ce mouvement, eux-mêmes, ne croyaient pas (source directe). Vu la notoriété des personnalités qui le portaient, dont l’une, au moins, aurait été en cheville avec un mouvement révolutionnaire étranger, ce calcul douteux ne fut pas négligeable dans la décision de l’Etat de réprimer l’OJAM. Ce faisant, le gouvernement n’a-t-il pas entendu couper l’éventuel « bras armé » du FAGA dont l’un des promoteurs avait déjà été interdit de séjour en Martinique ? Par ailleurs, un malaise s’observe lorsqu’on évoque des hommes et des moyens financiers qui auraient été pour partie recyclés dans la création d’une école privée bien connue.

Y M


Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes.

Après avoir relu le livre-témoin de Gesner MENCE, L’affaire de l’OJAM ou le Complot du mardi-gras ; revu le film de Camille MAUDUECH, La Martinique aux Martiniquais, acte I, et pris connaissance de l’acte II : une mine de révélations en mode de confessions ou d’aveux ; après avoir assisté à deux débats sur le film, dont l’un avec la participation d’anciens de l’organisation, il est possible d’avoir une bonne compréhension du phénomène de l’OJAM. Lequel n’eût jamais eu un tel retentissement sans la regrettable arrestation de quelques-uns de ses membres.

Marqué par les meurtrissures de la décolonisation, de la guerre d’Algérie, en particulier, instruit de la fragilité sociale des nouveaux départements, notamment lors des incidents décembre 1959, l’Etat craignait l’apparition de nouveaux foyers insurrectionnels. Aussi, elle avait cru devoir réprimer dans l’œuf toute agitation, avant de prendre diverses mesures destinées à transformer, de fait, le mode d’appartenance de ces territoires à la France. Ces mesures s’appellent SMA, AFPA, BUMIDOM, réforme foncière, abattement fiscal, quota d’importation, réorientation de l’octroi de mer, etc. Selon l’historien Julien SAINTON, l’intégration se serait alors substituée à l’assimilation. Bref, l’OJAM fit les frais de cette répression comme ce sera le cas, en d’autres circonstances, en Guadeloupe.

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« La Martinique aux Martiniquais » : un même discours, des objectifs différents.

Ainsi donc, après la date du 22 mai 1848 découverte à la fin des années 1950 par l’historien du parti communiste martiniquais Armand NICOLAS, et celle des événements de décembre 1959 qui furent essentiels dans la prise de conscience du gouvernement, le mythe de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique (OJAM) a su faire son chemin à travers ce qu’un des membres a qualifié d’ambiguïtés et qu’un autre a résumé par la phrase : « il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes ».

Il ne s’agit pas ici de faire la traduction littérale du livre ou de plagier le film, mais, grâce à ces excellentes productions, s’essayer à une perspective et tenter de mesurer l’épaisseur d’un phénomène qui est inscrit dans l’histoire. D’abord, si les mots ont un sens et s’écartent des justifications fumeuses habituelles, le slogan La Martinique aux Martiniquais exprime littéralement la volonté de quitter la France ou d’être quittée par elle. Or, l’équipée de l’OJAM ayant été traversée par de nombreux clivages, cette formulation qui a été longuement débattue ne répondait pas à un l’objectif commun.

Premier clivage, seuls deux ou trois des jeunes gens arrêtés se disaient indépendantistes, la majorité d’entre eux était autonomiste ou s’en réclamait. Il y avait un désaccord entre ces derniers, les communistes créèrent une cellule en prison. L’un au moins des anciens détenus qui n’était ni indépendantiste ni autonomiste paraît encore "estébékwé" de s’être retrouvé embarqué dans l’aventure. Non sans humour, un autre sut apporter un regard distancié sur la situation et sur les hommes.

En réalité, les indépendantistes se situaient surtout en amont du mouvement, au très "parisien" Front antillo-guyanais pour l’autonomie (FAGA), centre nerveux de l’agitation domienne où le mot "autonomie" aurait été rajouté à FAG… "pour ne pas effrayer".

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L’addition de clivages et la cacophonie de l’OJAM

D’autres lignes de fracture étaient évidentes : entre ceux qui résidaient en Martinique ou en France, les premiers étant emprisonnés, pas les autres ; entre ceux qui envisageaient ou non l’action violente ; entre les obscurs et ceux qui avaient une envergure nationale. Là-bas, ils étaient pour la plupart d’anciens de l’Association générale des étudiants martiniquais (AGEM), désireux d’être pour leur pays, un brin de narcissisme aidant, au rendez-vous de la décolonisation. On n’a pas connu de chef à l’OJAM, mais une nébuleuse d’"intouchables " s’est dessinée où tel gros poisson de Paris, ami de Ben Bella et de Fanon, aurait été proche d’une source de financement ; où tel autre, intellectuel reconnu, aurait été à l’origine de la fameuse fiche dogmatique et technique qui aurait peu convaincu à l’intérieur du mouvement.

Ce document qui servit de support à l’accusation de complot contre l’Etat, était parvenu aux mains de la bande raide de Fort-de-France. Dans le film, l’animateur présumé de cette faction de l’OJAM n’a pas su convaincre de la réalité d’initiatives inspirées, selon lui, par la théorie de la « violence légitime » de Frantz Fanon.

Reste que la part "métropolitaine" de l’aventure n’a pas manqué de susciter la méfiance des emprisonnés, bien au fait, eux, de la réalité du terrain en Martinique. Ceux-ci en vinrent à se soupçonner mutuellement jusqu’à « se regarder en chiens de faïence », affirme un ancien. Par ailleurs, l’absence du film de celui par qui l’OJAM prit véritablement date, peut être regardée comme le symbole d’une rancœur prolongée.

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Le SMA, l’AFPA et le BUMIDOM ont asséché les espérances de révolte

Les nouvelles en provenance de la Martinique avaient bluffé les Parisiens. Elles faisaient état de participations massives de jeunes aux réunions de l’OJAM. Déjà, sans doute mal informé, Frantz Fanon avait pu écrire dans un journal tunisien, le Moujahid, que les incidents de décembre1959 avaient enregistré 15 morts, des blessés et des arrestations, en nombre. On verra, au contraire, que loin de fournir des troupes à l’organisation anticolonialiste, des centaines de jeunes utiliseront les outils de formation qui seront offerts par le SMA et l’AFPA, ou partiront pour France par le biais du BUMIDOM.

D’ailleurs, l’un des anciens reconnaît dans le film que dès avant la création du BUMIDOM, en 1963, les appelés démobilisés venant d’Algérie n’avaient qu’un objectif, repartir en métropole pour trouver du travail. Bref, ces 3 organismes auront le don d’assécher les espérances de révolte nourries par les intellectuels. Ce fut d’ailleurs le vrai motif de l’opprobre jeté sur le BUMIDOM, de sorte que les exhortations des forces vives à ne pas quitter leurs pays n’étaient pas des marques de compassion pour ces jeunes. Elles exprimaient plutôt le dépit des idéologues face à l’évanouissement de forces révolutionnaires espérées. En effet, contrairement aux cas particuliers des 2 dignitaires du PCM dont les salaires avaient été pris en charge par les militants pendant plusieurs années, on n’a pas connaissance que des soussous fussent organisés pour venir en aide aux plus infortunés d’entre ceux qui avaient été qualifiés avec mépris de "déportés".

Le narcissisme révolutionnaire de l’anticolonialisme martiniquais

De retour de leur aventure, les Ojamistes n’avaient pas toujours été reçus en héros, mais parfois en sujets de railleries. Finalement, les travaux de Gesner MENCE et de Camille MAUDUECH déconstruisent le mythe de l’OJAM. Ils exposent suffisamment de facteurs d’indétermination et de désunion pour comprendre que, sauf le respect dû à des hommes qui ont été frappés dans leur chair pour leurs idées, le phénomène de l’OJAM eut tout l’air d’une affaire de cornecul.

L’aventure s’inscrit en caractères gras dans l’histoire martiniquaise qui, on le sait, n’est pas avare d’arrangements et de raccommodages. La Martinique n’étant pas l’Algérie, l’épisode rappelle la fable de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf. Enfin, les péripéties de l’OJAM mettent en lumière le caractère velléitaire et naïf de l’anticolonialisme martiniquais. Lequel tient davantage du narcissisme révolutionnaire que des convictions.
Une évidence s’impose. Hormis un moment de compassion pour des jeunes gens que CESAIRE dira au procès s’être "fourvoyés", le phénomène OJAM n’a jamais reçu l’adhésion ni des partis politiques ni du peuple ni des jeunes, ni même leur compréhension. Il en est résulté un symbole qui, à voir les graffitis sous les ponts, peut encore faire rêver, mais qu’au-delà du fantasme, les nationalistes martiniquais n’auront pas réussi à faire prospérer

Ce texte est réalisé par Yves Léopold Monthieux. Les différences de vue et d'analyse,et sa vision et la nôtre sur cette même question ne nous empêche pas de diffuser son texte. Cela fait partie du débat !



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