"JOUER LE JEU " Par Edouard de Lepine


Rédigé le Lundi 18 Octobre 2010 à 18:46 |

Rédaction du Naïf : Dans le numéro du 6 octobre 2010 de Montray Kréyol, le nouveau journal officiel de l’adulation posthume de Césaire et de la détestation consubstantielle de son parti, le PPM, sous le titre « Le devoir de responsabilité », le Président du Conseil Général vient de publier un article que nous avons lu avec intérêt, avec attention mais aussi avec tristesse. Non que tout y soit triste mais ce qui est correct et qui en tout cas mérite discussion est noyé dans une foultitude d’incohérences qui frisent l’irresponsabilité.


Ce qui inquiète ce n’est évidemment pas le procès d’intention intenté à Serge Letchimy pour « déni de démocratie » au nom du respect du RDM, du MIM et de leurs alliés pour la volonté exprimée le 24 janvier dernier par les électeurs Martiniquais en faveur de l’article 73 de la constitution.

Les faux débats sur les compétences, le calendrier, la gouvernance (je déteste ce mot), les ressources, n’intéressent pour l’instant ni le grand public ni ceux que préoccupent vraiment ces problèmes sans doute importants mais dont l’urgence ne semble pas indiscutable.

Ce qui nous gêne c’est les silences du président plus que son indignation. Nous reviendrons plus loin sur son silence de loin le plus affligeant, celui qu’il observe sur le mode de désignation de la future assemblée unique. Le reste, tout le reste, n’est pas sans intérêt mais secondaire au stade actuel de la discussion.

Nul ne le sait mieux que le Président du Conseil Général.

L’intention « indécente » qu’il prête à Serge Letchimy de convoquer le Congrès pour légitimer le viol de la volonté populaire, telle qu’elle s’est exprimée, le 24 janvier, cache mal la double incohérence pour ne pas dire l’indécence (je n’emploierai cependant pas ce mot) ou l’irresponsabilité de son discours à la fois de Président d’une assemblée élue au scrutin uninominal majoritaire et de sa fonction de sénateur représentant des collectivités locales et gardien de leurs intérêts.

Retenons d’abord l’incohérence du boycott du Congrès

Ce que propose Serge Letchimy, pas au nom de son parti mais au nom de l’actuelle majorité du Conseil Régional, c’est un Congrès pour prendre acte de ce qui semble d’ores et déjà acquis au sein de cette commission ad hoc mise en place par les exécutifs des deux assemblées, et tenter de trouver un accord plus large que celui déjà intervenu sur un certain nombre de questions. Faut-il rappeler que cette commission a été mise en place par Claude Lise autant que par Serge Letchimy et que le président du Conseil Général n’en a jamais contesté ni l’opportunité ni la fonction ?

Les deux exécutifs se sont-ils oui ou non mis d’accord sur un certain nombre de thèmes (10 exactement) sur lesquels la Commission était appelée à émettre un avis et à faire des propositions ?

Cette commission a-t-elle reçu - et pouvait-elle d’ailleurs recevoir - mandat de prendre des décisions au nom des deux collectivités ?

Autrement dit ses conclusions peuvent-elles engager le Congrès ?

Au nom de quoi l’un des deux exécutifs peut-il décider qu’il n’y a aucune nécessité de réunir le Congrès pour évaluer le travail accompli à son instigation et pour son compte ?

Les raisons invoquées par ceux qui refusent la convocation d’un congrès sont tout simplement ridicules. Ou bien la création de cette commission était illégale, en tout cas sans objet. Ceux qui en ont pris l’initiative doivent expliquer pourquoi et en quoi ils se sont trompés.
Ou bien la mise en place de cette commission était justifiée et il faut aller jusqu’au bout de la logique qui en a inspiré la création.

Deux raisons au moins de convoquer le congrès.

On pouvait contester l’urgence pas le bien fondé de la convocation du Congrès. Il n’y avait aucune raison de céder à l’impatience de madame la ministre des DOM de tout boucler avant le 30 octobre. Les deux exécutifs de la Région et du Département pouvaient s’estimer fondés à attendre le renouvellement, en mars 2011, de la moitié du Conseil Général, pour avoir une vue plus précise de l’évolution de l’opinion, dans un sens ou dans un autre, après les consultations du mois de janvier. Soit qu’ils confirment soit qu’ils infirment les tendances observées lors des régionales de mars dernier, les résultats des cantonales un an après ceux des régionales ne peuvent pas être sans intérêt pour la configuration politique du Congrès qui en toute logique devrait être en charge de mettre la dernière main aux vœux des élus pour la convocation de l’assemblée unique… Sauf à considérer que les cantonales de mars 2011 devraient être des élections de pure forme, leurs vainqueurs n’ayant qu’à entériner les décisions de leurs prédécesseurs même s’ils ont sorti les sortants.

Il n’était cependant pas absurde quoique dangereux - on le voit bien - de vouloir consulter le Congrès à la fin du premier semestre ou au cours du second.

Deux raisons militaient en faveur de cette consultation. La première c’est que la double défaite de ceux qui avaient appelé, en décembre 2008 et en juin 2009, à voter oui au 74, le 10 janvier dernier (plus de 79% de non) et qui, en partie au moins, ont été désavoués aux élections régionales de mars, aurait dû amener dès la fin du premier semestre la convocation d’un Congrès, à l’initiative du Président du Conseil Général qui en assurait la présidence.

C’était à lui de faire le point sur les conséquences du rejet de cet article 74 qui avait été pendant dix-huit mois au centre de la réflexion et de l’action du Congrès du 18 juin 2008 au 10 janvier 2010. On peut comprendre que le plus grand battu, à tous égards, de ces deux consultations – voyez les résultats de la liste présentée aux régionales par son parti, le RDM, qui n’a même plus un seul élu au Conseil Régional – n’ait eu aucune envie de convoquer ce Congrès.

La seconde raison pour la convocation d’un Congrès c’est la nécessité de tirer le plus rapidement possible les conséquences pratiques de la victoire écrasante mais ambiguë du OUI le 10 janvier.

Il ne s’agissait pas de se mettre à la place de la prochaine assemblée unique mais d’en préparer la mise en place, c’est-à-dire de faire un certain nombre de propositions concernant cette nouvelle institution qui constitue, que nous le voulions ou non, une institution sui generis, c’est-à-dire unique en son genre, qui n’a jamais existé dans l’histoire des institutions françaises et qui ne semble pas devoir exister en France, même dans le cadre de la réforme territoriale en cours.

À ce sujet, il faut que les élus, toutes nuances confondues, fassent savoir clairement que si le gouvernement, prenant prétexte de l’absence d’un consensus global, décidait de faire à la Martinique ce qu’il a fait à la Réunion et en Guadeloupe, c’est-à-dire de nous placer sous le régime pur et simple du droit commun, comme paraissent le souhaiter les ex-champions de la spécialité du 74, ils considéreraient cette décision comme une manifestation de mépris à l’égard des électeurs Martiniquais et comme un authentique déni de démocratie, contre lequel le peuple Martiniquais serait en droit de se révolter.

C’est dire que les choses sont loin d’être simples. Nous avons rejeté la spécialité législative. Mais le choix de l’identité législative ne supprime pas la singularité des situations d’un DOM à l’autre.

C’est d’ailleurs pourquoi la loi fondamentale a prévu des adaptations et des habilitations que l’assemblée unique devra être en mesure de négocier dans les meilleures conditions possibles c’est-à-dire en s’appuyant sur la confiance du pays.

Seuls des naïfs peuvent imaginer que la constitution a tout prévu dans le 73 et qu’il n’y a rien à chercher ni par conséquent à trouver.

Nous sommes condamnés à faire du neuf, c’est-à-dire à innover et pour cela à prouver le mouvement en marchant, non en restant le cul collé au fauteuil d’un introuvable 73 qui ne peut pas ne pas tenir compte de la situation inédite qu’il a lui-même créée, mais en essayant de trouver une ou des solutions qui conviennent non à tous mais au plus grand nombre, quelque répugnance que puissent éprouver les uns et les autres à se retrouver dans le même camp.

Non par un attachement morbide à l’idée du consensus mais à la recherche d’une majorité claire sur un choix précis.

Commencer par le mode de scrutin

S’il y a un domaine sur lequel il faut une majorité insusceptible de prêter à une quelconque magouille, c’est celui du mode de scrutin qui doit être adopté pour la désignation de l’assemblée unique. C’est pourquoi il nous paraît indispensable de commencer par là.

Il faut étudier dans le détail, au microscope, commune par commune, les résultats des dernières consultations, pour voir à quel point, l’opinion peut être éloignée des consignes données aux électeurs.

En 2003 comme en 2010, le Congrès a été désavoué.

Plus largement en 2010 qu’en 2003.

Le 7 décembre 2003, quinze des 26 maires ayant suivi le congrès en 2003 ont été battus, parfois très largement dans leurs communes. Pas un seul des 8 maires ayant préconisé le non n’a été désavoué par son électorat.

Le 10 janvier dernier, douze des 14 municipalités qui se sont prononcées pour le 74, n’ont pas été suivies par les électeurs. C’est une situation qui mérite d’être sérieusement étudiée par les maires d’abord mais aussi par l’ensemble de la population.

Aucune décision concernant le mode d’élection de la prochaine assemblée unique ne peut faire ignorer cette donnée. Non qu’il y ait nécessairement divorce entre une représentation régionale et une représentation territoriale plus réduite, mais on ne peut faire l’impasse sur l’expression de la volonté de la commune historiquement la plus ancienne de nos institutions et politiquement la plus proche de la population.

Ni dans l’article 74 ni dans le 73, le mode de scrutin ne relève actuellement de l’initiative locale. Il ne s’agit donc pas de décider mais de proposer au législateur le mode de scrutin qui nous paraît le plus propre à assurer la meilleure représentation du pays réel.

De façon plus générale, si on pouvait avoir quelque doute, sur le sentiment des communes quant aux différents modes de scrutin, après les résultats du 7 décembre 2003 mais avant ceux du 10 janvier 2010 où les principaux tenants du scrutin proportionnel ont été largement battus, il ne peut en subsister aucun après le 24 janvier : on ne saurait sous aucun prétexte faire quelque concession que ce soit aux partisans de la seule proportionnelle.

En tout cas ce n’est pas à eux de dicter quoi que ce soit ni de présenter comme une concession leur choix d’un scrutin proportionnel plus ou moins frelaté, plus ou moins tronqué, plus ou moins magouillé. Ce n’est pas davantage à ceux qui ont gagné la bataille du 10 janvier comme celle des régionales de mars de faire quelque concession que ce soit dans ce domaine.

Les Martiniquais se sont majoritairement prononcés pour la substitution d’une assemblée unique aux deux assemblées qui existent actuellement. Ces deux assemblées ont été élues suivant deux modes de scrutin différents : la proportionnelle pour le Conseil Régional, le scrutin majoritaire uninominal pour le Conseil Général sur une base territoriale clairement identifiée, le canton.

Le déni de démocratie consisterait à éliminer un type de représentation par un autre et, pour parler clairement, à enterrer sans fleurs ni couronnes le Conseil Général.

Quoique l’on pense de la réforme territoriale de 1949 qui a pratiquement fait de chaque commune un canton, à l’exception de 8 d’entre elles qui ont été regroupées en 4 cantons (Case-Pilote-Bellefontaine, Carbet-Morne Vert, Saint Pierre – Fonds-Saint-Denis, Macouba – Grand-Rivière), la réalité politique de la représentation du territoire par le Conseil Général ne peut être sérieusement contestée.

Passe encore que des élus d’un scrutin à la proportionnelle, croient pouvoir punir le peuple Martiniquais de son rejet du 74 et de la défaite de son principal champion, l’ancien président de la Région, Alfred Marie-Jeanne, par le boycott d’une institution, le Congrès, que celui-ci avait d’abord méprisée avant de s’en instituer le patron charismatique (littéralement oint du saint chrème)

Une punition d’autant plus ridicule que l’homme dont l’ego surdimensionné n’a pas supporté une défaite vécue à tort comme un échec personnel et une humiliation imméritée, a déserté le combat.

Au lieu de siéger au Conseil Régional où sa grande expérience d’ancien maire, d’ancien conseiller général, d’ancien président de la Région, de député et son crédit auraient fourni une précieuse contribution aux débats, il a abandonné son groupe à deux ou trois Rastignacs encore plus assoiffés de revanche que de pouvoirs et à des seconds couteaux plus soucieux de régler des comptes que de trouver de bonnes réponses à des questions difficiles.

On ne peut peut-être pas l’éviter mais il faut regretter que des préoccupations étrangères aux besoins de la période semblent avoir pris le pas sur la recherche de moyens de sortir de la crise dans laquelle nous sommes plongés et de l’impasse vers lequel nous semblons nous diriger.

Le seul aspect positif de l’article du Président du Conseil Général sur le devoir de responsabilité, c’est de placer au cœur de nos problèmes l’esquisse d’une réflexion sur la situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouve le pays, sur l’urgence d’un plan de relance économique et sur les risques que comporterait dans la période actuelle, la poursuite interminable d’un dialogue de sourds sur des sujets qui ne peuvent être tranchés que par la future assemblée unique.

Du moins devons nous trancher sans ambiguïté sur le ou les modes de scrutin qui en détermineront la composition.

Jouer le jeu : « rien que le 73 mais tout le 73 »


Sauf sur cette question, bien venu soit le moratoire que propose le Président du Conseil Général, même s’il refuse d’employer le mot tellement galvaudé depuis 29 ans par ses nouveaux alliés.

À une condition cependant et à une seule : jouer le jeu, pour reprendre la belle formule un peu oubliée du grand nègre guyanais, Félix Éboué, dans un discours à la jeunesse guadeloupéenne, en juillet 1937 :

« Jouer le jeu, c’est accepter la décision de l’arbitre que vous avez choisi ou que le libre jeu des institutions vous a imposé. »

L’arbitre que nous avons choisi, et en tout cas accepté, c’est le peuple. Le peuple s’est prononcé. Pour des raisons que j’ai longuement évoquées en d’autre lieux, notamment dans un ouvrage publié l’an dernier sur la question dite du statut de la Martinique, je n’ai pas voté le 24 janvier pour l’article 73 de la constitution. Ces raisons je ne les ai ni oubliées ni reniées.

Mais, « Jouer le jeu, disait encore Éboué, c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives, quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser; c’est pratiquer le jeu d’équipe avec d’autant plus de ferveur que la notion de l’indépendance vous aura appris à rester libres quand même.

Je n’en suis que plus à l’aise pour soutenir la position qui me paraît être celle de Serge Letchimy et qui pourrait tenir dans la formule : « Rien que le 73, mais tout le 73 ».

Le Robert / Edouard de Lépine,



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