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JUSTIN Daniel " lève le droit ". L’appartenance simultanée au conseil exécutif et à l’assemblée de Martinique est interdite par la loi.


Rédigé le Mercredi 2 Mars 2016 à 14:34 |
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Toute campagne électorale donne lieu à des excès de langage et à des approximations qui nourrissent les échanges politico-symboliques. Il était dès lors permis de penser que l’installation de la CTM à partir du 18 décembre 2015 aurait permis de clarifier les choses.


« Quand le mort saisit le vif : Nouvelles catégorisations et confusion des esprits à propos de la CTM »

| Il y a quelques mois, en pleine campagne pour l’élection de l’assemblée de Martinique, nous avons publié un bref article intitulé Confusion des catégories et perte de repères. Il s’agissait alors d’attirer l’attention sur la mobilisation par les protagonistes d’un certain nombre de notions inappropriées et sources de confusion multiples, pour rendre compte des changements induits par la création de la collectivité territoriale de Martinique (CTM). De tels comportements pouvaient être aisément expliqués : toute campagne électorale donne lieu à des excès de langage et à des approximations qui nourrissent les échanges politico-symboliques. Il était dès lors permis de penser que l’installation de la CTM à partir du 18 décembre 2015 aurait permis de clarifier les choses.

Force est d’admettre, plus de deux mois après le lancement du processus, qu’il n’en est rien. Non seulement la phase d’apprentissage institutionnel, identifiée comme cruciale pour la réussite de la réforme, s’annonce plus longue et se révèle plus laborieuse que prévu, mais surtout de nouvelles catégorisations aussi dénuées de sens que nuisibles, fleurissent à propos de la CTM. Souvent relayées par une partie de la presse, plus prompte à les reprendre à son compte qu’à informer la population, elles témoignent de la difficulté à faire évoluer les mentalités. Pire, certaines de ces inventions sont de nature à troubler les esprits et le fonctionnement des institutions, au point d’être préjudiciables à la mise en œuvre d’une réforme dont nul ne saurait sous-estimer l’importance pour l’avenir de la Martinique. Il en résulte que des catégorisations approximatives et spécieuses le disputent à une confusion persistance des esprits, laissant l’impression que le mort a fini par saisir le vif.

Des catégorisations spécieuses

Ainsi le « syndrome de l’orphelin » signalé dans l’article susmentionné continue à produire ses effets. La disparition de la catégorie institutionnelle de département — dont le poids dans l’imaginaire collectif demeure considérable — et de celle de région, remplacées par la nouvelle dénomination de CTM, conduit à les réinventer sous des formes parfois surprenantes. On apprend, par exemple, de la bouche d’un journaliste de Martinique 1re que « nous restons un département région d’outre-mer, un DROM dans le cadre de l’article 73, un DROM administré par une collectivité territoriale unique ». Cette étonnante affirmation repose sur l’établissement d’une curieuse distinction, propre, semble-t-il, à la Martinique, entre le département (ou la région) en tant que territoire, et le département (ou la région) en tant qu’institution. En d’autres termes (sans doute peu clairs), la substitution de la CTM au DROM institutionnel ne mettrait pas un terme à l’existence du DROM territorial (ou géographique) de la Martinique.
De toute évidence, ce docte discours se nourrit-il d’une forme de paresse de l’État qui n’a pas réorganisé ou renommé ses services présents à la Martinique, tout en oubliant que le même État a pris grand soin, notamment par le biais de la loi du 27 juillet 2011 et celle du 14 octobre 2015, de remplacer dans les textes en vigueur les références au département et à la région de Martinique par… celle de la CTM. Ces circonlocutions prêteraient à sourire si elles ne portaient pas en germe des interrogations toujours aussi lancinantes, quoique totalement infondées, sur le régime législatif de la Martinique. D’abord, la Martinique peut-elle appartenir à la République française si elle n’est plus département ? Ensuite, comment expliquer l’application, sans solution de continuité, de l’article 73 de la constitution à la CTM si le département et la région ont cessé d’exister ?

Une confusion persistante des esprits

Une lecture cursive et erronée de la Constitution de 1958, conduit à proclamer que c’est la catégorie de DROM — dont on vient de voir qu’elle a disparu du paysage institutionnel — qui justifie l’application de plein droit des lois et règlements à la Martinique. Autrement dit, le régime de l’article 73 serait lié, de manière indissoluble et exclusive, au cadre institutionnel de DROM. Il suffit pourtant de rappeler que l’article 73 ne procède nullement à l’énumération des collectivités territoriales, qu’elles soient situées dans l’Hexagone ou outre-mer. Il se contente de définir le régime législatif des « Quatre vieilles » devenues DROM avant d’évoluer de manière différenciée, mais aussi de Mayotte. Il précise le contenu ainsi que les modalités d’application de ce régime législatif, notamment le pouvoir d’adaptation et de fixation de la règle réservé à ces collectivités. Enfin, il rappelle qu’il est possible de sortir de cette catégorie de DROM, par création d’une collectivité unique, laquelle se substitue au DROM existant tout en restant placée sous le même régime législatif. Seul l’article 72 dans ses différents alinéas procède à l’énumération des catégories de collectivités territoriales françaises.

Il faut donc se tourner vers l’article 72-3, alinéa 2 pour comprendre la classification dont relève la CTM. Il est ainsi rédigé : « La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités. » Ici les choses ont le mérite de la clarté : cet article établit une double distinction entre d’une part, les collectivités régies par l’article 73 et les collectivités d’outre-mer ou COM régies par l’article 74 ; et d’autre part, au sein des collectivités régies par l’article 73, entre les DROM et les collectivités uniques — qu’on pourrait appeler de substitution — remplaçant les DROM sur le fondement du dernier alinéa de l’article 73 (cas de la CTM).

C’est donc cet article (72-3, alinéa 2), et non l’article 73 qui classe la CTM, en tant que collectivité unique s’étant substituée aux département et à la région de Martinique, sous le régime de l’article 73, c’est-à-dire de l’application de plein droit des lois et règlements, avec les possibilités d’adaptation et de dérogation prévues par un tel régime.

A trop se focaliser sur l’article 73, en négligeant d’en faire une lecture combinée avec les dispositions de l’article 72, on en vient à donner des interprétations totalement erronées et fallacieuses de la situation, voire à inventer des catégories ou à en faire revivre d’autres qui ont cessé d’exister.

Une autre catégorie discursive, également réinventée pour la CTM, a aussi fait son apparition : celle de « conseiller territorial » qui est venue se substituer, par la magie du verbe, à la dénomination officielle de conseiller à l’assemblée de Martinique. C’est ainsi que l’on a vu récemment s’afficher, en incrustation à une interview d’un responsable de la CTM sur Martinique 1re, le double titre de « conseiller territorial et conseiller exécutif ». Le recours à une telle catégorisation revient à ressusciter le projet avorté de conseiller territorial prévu par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, cette disposition — qui n’était d’ailleurs pas applicable à la Martinique — n’ayant jamais vu le jour. Pire, l’association « conseiller territorial » et « conseiller exécutif » est tout simplement incompréhensible : l’appartenance simultanée au conseil exécutif et à l’assemblée de Martinique est interdite par la loi.

De telles confusions et des erreurs aussi grossières ne peuvent que perturber le processus d’apprentissage institutionnel et empêcher les citoyens de s’approprier les règles du jeu.

Et le mort saisit le vif…

Enfin, le comble est atteint avec l’émergence récente d’une autre catégorie — Président de la CTM — dont on chercherait vainement le fondement juridico-institutionnel, mais qui est reprise sans discernement par une bonne partie de la presse. Une nouvelle catégorie qui semble refléter davantage un état d’esprit ou une certaine conception du pouvoir que la réalité des textes. Faut-il rappeler, en effet, que la CTM est structurée autour d’une organisation bicéphale n’impliquant aucun lien de subordination hiérarchique entre le président du conseil exécutif et le président de l’assemblée, lesquels sont d’ailleurs placés au même rang d’un point de vue protocolaire ? Manifestement, les réflexes conditionnés acquis au cours de longues carrières politiques imprègnent fortement les comportements d’aujourd’hui, comme en témoigne le trombinoscope de la CTM1 qui vient d’être mis en ligne.

Tout se passe comme si le mort avait fini par saisir le vif à travers la tendance persistante de l’actuelle équipe dirigeante à reproduire le modèle de l’ex-département ou région, au risque d’entretenir la confusion. D’autant que par ailleurs, la phase d’apprentissage institutionnel, qui s’annonce longue et laborieuse, s’est traduite, pour le moment, par la simple juxtaposition des deux entités censées être remplacées, alors que la nouvelle peine à s’imposer. Mais c’est là un autre problème, que l’on peut aisément comprendre et expliquer, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Justin DANIEL Professeur de science politique Université des Antilles CRPLC, UMR-CNRS 8053

1 Ainsi la fonction de « Président de la CTM » est introduite, donnant l’impression que le conseil exécutif et l’assemblée de Martinique sont conjointement placés sous son autorité, à l’instar d’un président de conseil régional ou de conseil régional à la fois exécutif de la collectivité et président de l’assemblée délibérante. Quant au bureau de l’assemblée, il disparaît sous le terme générique de « présidence » qui subsume à la fois les quatre vice-présidents et le président lui-même. Il va sans dire qu’une telle présentation est contraire à l’esprit et à la lettre de la loi du 27 juillet 2011.



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