LE SLOGAN « MATINIK SE TA NOU, MATINIK SE PA TA YO ».


Rédigé le Jeudi 19 Mars 2009 à 21:37 |

Par Jean BERNABE : Ce slogan qui a rythmé les mouvements de grève générale de la Guadeloupe puis de la Martinique a été largement commenté et a fait l’objet d’une imputation de racisme. C’est n’avoir pas compris les mécanismes de pensée qui sont à l’œuvre et que le linguiste se doit d’analyser :


Toute phrase doit être placée dans son contexte. Un même énoncé peut avoir deux sens différents selon celui qui le prononce et la circonstance dans laquelle il le prononce.

Un Noir qui dira « Konplo Neg sé konplo chien » n’attirera aucun commentaire négatif, mais un Blanc disant la même chose sera taxé de racisme.

Or, c’est la même phrase. Donc, la circonstance et le sujet sont déterminants pour le sens social d’une phrase.

Il faut bien comprendre la valeur des pronoms personnels en général et des pronoms personnels créoles.
Valeur générale

1. Je = celui qui parle 2. Tu = celui à qui je parle 3. Il/elle : celui où celle dont je parle 4. Nous : l’ensemble de ceux parmi lesquels se situe celui qui parle 5. Vous : l’ensemble de ceux à qui je parle (sauf cas du vouvoiement, en français, par exemple) 6. ils/elles : l’ensemble de ceux dont je parle

Valeur en créole des deux formes de pronoms personnels employés

- Yo, en créole, renvoie soit à un ensemble défini (ils/elles) soit à un ensemble non défini, vague (on). Il est à noter que celui à qui on parle n’est pas indiqué. On n’a pas : « Matinik sé pa ta zot », ce qui signifie que le sujet (ou l’ensemble des sujets) se parle à lui-même. Nous sommes là dans le cadre d’un discours qui manifeste une prise de conscience, une identité en construction et non pas d’une adresse. Le yo n’est pas apostrophé.

Il y là comme une volonté de « fermer la ronde », comme pour trouver des solutions internes au pays, avec tout ce que cela peut supposer d’enfermement sur soi. Cela dit, ce risque semble conjuré en raison même de la nécessité de négocier. Si on se rappelle que ce slogan a été inventé en Guadeloupe avant d’être repris par le Collectif martiniquais du 5 février, on ne peut que constater un phénomène très éclairant.

En guadeloupéen, on peut avoir aussi bien :
« La Gwadloup sé tan nou, La Gwadloup sé pa ta yo » (la Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux »)

que :

« La Gwadloup, sé tan nou, La Gwadloup, a pa ta yo » (La Guadeloupe, c’est à nous, la Guadeloupe, ce n’est pas à eux », avec une virgule après « La Gwadloup ».

Mais ces deux phrases ont des sens différents. Dans la première phrasse, on a simplement le verbe « être ». Dans la seconde, avec la forme négative et la virgule, on a ce qui s’appelle une emphase. Dans ce cas, on doit avoir obligatoirement la forme a et non la forme sé. Cela est une caractéristique du créole guadeloupéen, et non pas du créole martiniquais, qui dans tous les cas présente la forme sé.

Or, on constate que dès le guadeloupéen, c’est la forme avec sé qui est utilisée et jamais celle avec a, qui correspondrait à une tournure emphatique. C’est, me semble-t-il, un indice supplémentaire qui vient renforcer la précédente interprétation, laquelle suppose une affirmation sereine, dépourvue de tout élément emphatique d’apostrophe.

On est sorti d’une stratégie de réclamation à une stratégie d’affirmation de soi, même si l’aspect réclamation n’est pas absent du contenu des revendications. La présente lecture doit être comprise comme symptomatique et non pas comme l’expression d’une réalité achevée, accomplie. La nécessaire liaison entre la démarche syndicale et l’action politique se fera-t-elle, afin d’actualiser toutes les potentialités de ce mouvement inédit dans notre histoire et probablement historique ? L’avenir nous le dira.

Nou, quant à lui, renvoie à tous ceux qui sont en mesure de dire « Je ». Parmi les yo, il y a des gens précis (ils/elles), mais il y a aussi des gens imprécis (on). En ce qui concerne ces derniers, c’est à eux qu’il appartient de passer du virtuel au réel, par leur capacité à entrer dans le nou.

Par ailleurs, il faut savoir également qu’en créole haïtien, nou peut signifier aussi bien « nous » que « vous ». Les Haïtiens ne se trompent jamais. Nous sommes là dans la résultante d’un processus de créolisation qui a abouti à un état donné que l’on peut qualifier de créolité. C’est un état proche mais différent de celui qui caractérise le martiniquais ou guadeloupéen.

Il convient aussi savoir que dans un créole comme le seychellois, le terme « zot » signifie non pas « vous », mais « ils/elles ». Là encore, il s’est produit une créolisation qui a aboutit à un état de créolité bien particulier.

Tout cela pour dire qu’on ne peut pas comprendre les enjeux profonds de ce slogan sans le relier aux mécanismes de créolisation, tels qu’ils opèrent dans la conscience et l’inconscient des peuples.

Jean Bernabé.

Source montraykreole.



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