Le crime ? Je n’ai pas chanté la Marseillaise ce 10 mai place du général Catroux,


Rédigé le Samedi 17 Mai 2014 à 11:55 |
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Ils se sont lassés. Assez vite, ma foi. J’allais presque dire dommage, les ayant connus plus durablement hargneux.



Tribune : Halte au rapt !

Le crime ? Je n’ai pas chanté la Marseillaise ce 10 mai place du général Catroux, belle figure républicaine et résistante, lors de la cérémonie en hommage au général Dumas, glorieux héros méconnu. Pour leur pleine information, et désolée pour ceux qui voudraient me soumettre à la gégène, j’avoue n’avoir pas chanté le même jour, le même après-midi lors de la cérémonie officielle au jardin du Luxembourg.

Luxembourg. Quand, à la note exacte, au-dessus de l’orchestre, la voix de la soliste se détache…j’écoute. Et j’écoute jusqu’au bout. A la fin, ayant salué l’orchestre de la tête, je félicite la cantatrice, qui glisse dans la conversation être d’origine haïtienne mais n’avoir jamais vécu à Haïti.
Place Catroux
. Quand, dans le premier silence de l’orchestre, monte la voix, masculine cette fois, bravant le crachin, j’écoute. Est-ce la technique est-ce l’acoustique, la voix, par moments, tressaille. J’en parle avec quelqu’un qui me dit que d’où il était, il n’entendait que par à-coups, ‘c’est sûrement la sono, madame’.

Lorsque, en fin de réunion publique, emportés par une ferveur désordonnée, nous entamons la Marseillaise, chacun y va de son lot de dissonances et le chant le plus maltraité de France retentit, revigoré par ces centaines, ces milliers de voix qui disent, plus encore que le souvenir enflammé des grandes heures du passé, l’exaltation du moment vécu ensemble là, conjurant les difficultés, l’inquiétude, la peur, criant confiance en l’avenir. J’y vais alors gaillardement de ma part de fausses notes.

Sinon, j’écoute. Le timbre, la tonalité, la première note et là où elle mènera le chant.

Déjà, pour le bicentenaire de la Révolution, lorsque, sur la place de la Concorde, place de réconciliation après la Terreur, après les tambours, puis les instruments à vent, puis les cuivres et la flûte traversière, un silence, et s’élève la voix sublime et fougueuse de la soprano Jessye Norman entonnant le sixième couplet, Amour sacré de la patrie… Liberté liberté chérie… c’est soudain le courage, la force, la puissance, et tout d’un coup l’ardeur et la vaillance de ceux qui allèrent au combat en tutoyant la mort, qui envahissent l’espace et l’esprit.

J’écoute.

Il arrive que le chœur de foule, à contretemps des choristes, s’il trouve son tempo et sa tessiture, basse contre voix ténor, aigüe contre voix alto, dégage une harmonie singulière. Le résultat est rare.

Mais certaines circonstances appellent davantage au recueillement… qu’au karaoké d’estrade.

Ainsi de ce 8 mai quand la chorale militaire entonne la Marseillaise, puis le chant des Partisans, deux chants suprêmes, souverains, témoins d’époques d’extrême violence, le Chant de guerre pour l’armée du Rhin et le Chant de ralliement des Résistants. Des deux la chorale fait une œuvre d’art…qu’elle achève dans ce murmure poignant des partisans, ouvriers et paysans. J’écoute. Solennellement. Demain c’est la journée de l’Europe. Quel chemin parcouru ! Mais quels périls encore !

Jessye Norman avançait superbement drapée dans une robe bleue blanche et rouge. Car le drapeau aux trois couleurs fut, à sa naissance, l’emblème de la révolte contre l’oppression et l’inégalité, la bannière d’espoir pour une société meilleure, puis devint l’étendard de la devise, la fraternité magnifiant la liberté et l’égalité.

Halte donc au rapt ! Sur l’hymne, le drapeau, la Nation, la République. Halte au holdup sur l’Histoire par celles-là et ceux-là qui se vautrent dans leur confort de classe, prêchent l’exclusion et le repli, et qui, par ces intimidations et ces traques, affichent des pratiques de miliciens.
Ils jouent, en ricanant, la même partition sur l’Europe. Les voilà champions des désespérés. Repus de rente électorale, ils moissonnent sans effort la fureur de ceux que l’économie malmène, qui ne croient plus en eux-mêmes, ne savent plus de quelle grandeur ils furent capables et, désorientés par ces sirènes, se perdent dans le ressentiment et la mésestime de soi.

On dirait la défaite des Lumières. Mais comme pour la défaite de Platon, ce n’est qu’une illusion d’optique. Ni l’exhibitionnisme pseudo-patriotique, ni le tapage de ceux qui se prennent pour les régisseurs de nos émotions, ni même cette florissante industrie de prestidigitation électorale n’ont pouvoir de raturer l’Histoire de ce pays, les conquêtes de la raison, l’empire de la volonté, l’intelligence des situations.

Et le sursaut viendra.

Des veines palpitantes de ce pays, de sa matière grise, de son énergie, de son génie. Et de nos combats.
Aussi sûr que ‘la lucidité est la blessure la plus proche du soleil’. René Char

Christiane Taubira


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