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Victor HAUTEVILLE

Hommage à un grand Martiniquais Camille Darsière (1932-2006), Par Edouard De Lepine

Samedi 9 Décembre 2017

Ancien conseiller général, ancien adjoint au maire d’Aimé Césaire, la mairie de Fort de France, ancien vice-président et président de fait puis de droit du premier Conseil Régional de la Martinique


Photo document Archive Mano
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À l’occasion du onzième anniversaire de la mort de Camille Darsières

 

AVANT-PROPOSDEUX ORIGINES, UN SEUL OBJET

 
 
Cet hommage à Camille Darsières a une double origine. C’est d’abord une réponse à une préoccupation immédiate. Réaction à chaud à un événement qui nous a tous surpris par sa brutalité : la mort de Camille, le 14 décembre 2006. C’est une longue réplique à la courte réponse du seul camarade qui ait exprimé par écrit un avis sur des propositions faites pour la pérennisation de la mémoire

Mais c’est aussi le point de départ d’un projet conçu du vivant de Camille : un court article pour le Dictionnaire Biographique du mouvement ouvrier français de Maitron et une brochure sur l’histoire du PPM pour un cours de formation politique. Il me semblait qu’il fallait saisir l’occasion de sa disparition, pour dire deux ou trois choses, en général assez mal connues, en particulier de nos jeunes camarades mais aussi du grand public.

Après une ébauche rapide, fin décembre 2006-janvier 2007, j’ai laissé tomber ce projet. Cela ne semblait pas dans l’air du temps. Nous avions d’autres préoccupations immédiates, les élections présidentielles et les législatives en 2007, la préparation des municipales et des cantonales pour 2008, sans parler de la gestion de menus problèmes domestiques, nés de la scission de 2006. J’ai eu tort.

J’ai repris ce travail le 19 mai 2007, comme suite à un appel téléphonique, presque d’un rappel à l’ordre, de notre camarade Lucienne Notte. Lucienne connaissait Camille autant que moi, notre profonde amitié et nos réelles divergences. Elle me rappelait que c’était le 75e anniversaire de la naissance de Camille et me demandait si j’avais prévu quelque chose et où en était le travail dont je lui avais parlé sur notre ami. Je n’avais aucune qualité pour prévoir quoi que ce soit à cette occasion. Mais, à ma très grande honte, j’ai dû avouer à cette camarade que je n’y pensais plus, que ce que je pouvais avoir à dire, moi, de Camille, n’intéressait d’ailleurs plus grand monde.  Cependant, cela me tracassait. J’ai interrogé deux ou trois copains proches de Camille. Ils partageaient l’avis de Lucienne : je devais achever ce que j’avais commencé. J’ai repris mon texte, en pensant l’intégrer dans un cours de formation politique pour le balisier du Robert auquel appartenait le seul camarade qui eût daigné me répondre par écrit. Ce balisier avait d’autres soucis.
Je n’ai finalement achevé ce travail qu’après la mort de Césaire, autrement dit près de seize mois après l’avoir commencé, sans bouleverser l’économie générale du texte. Sauf un court passage sur les néos-bissettistes, ajouté en juillet 2008, quand j’ai appris que le SERMAC avait programmé un hommage qui n’osait pas dire son nom à Cyrille Bissette, au premier festival Culturel de la ville de Fort-de-France, ayant suivi l’enterrement de  Césaire.

Quand, après une brève réunion avec des camarades du balisier Solidarité du Robert, j’avais proposé d’adresser au Bureau Politique du PPM, quelques propositions pour honorer la mémoire de Camille, il n’y avait eu aucune opposition. Tous les camarades paraissaient enthousiastes, sauf un.

Un seul camarade n’était pas de notre avis. Non sur le fond, mais sur les modalités et le timing de cet hommage. Il le dit avec la franchise qui sied aux camarades d’une organisation progressiste. Il me contraignait ainsi, (sans le savoir ?) à justifier plus sérieusement mes propositions. Il m’obligeait à rassembler des réflexions éparses qui traînaient dans divers carnets de notes. Réflexions au jour le jour, accumulées sans ordre au cours d’une longue fréquentation de Camille. Une fréquentation beaucoup plus longue que le quart de siècle, ou presque, que j’ai passé à ses côtés au PPM.

Je ne pensais pas alors écrire plus de deux ou trois pages. Chemin faisant, je me suis rendu compte que j’avais beaucoup plus à dire, même en ne m’adressant qu’à un jeune militant, plus tout jeune d’ailleurs, sinon par la date de son adhésion au Parti. Mais, comme moi, ancien membre du PCM, il avait eu un parcours politique assez comparable au mien. Cela crée des liens et des réflexes dont on se libère difficilement, en tout cas beaucoup moins facilement qu’on ne le croit.

À l’époque, lointaine, de mon appartenance au PCF ou au PCM et, apparemment, à la sienne encore, l’intervention militante supposait une curiosité quasi insatiable, une soif et une volonté de connaître inextinguibles. D’où un effort permanent de mise à jour, de formation personnelle, de lectures, de confrontation, de débats, souvent difficiles[[2]]url:#_ftn2 , parfois même houleux, mais finalement toujours féconds entre camarades de générations différentes, d’expériences, de sensibilités et de préoccupations différentes mais animés du même souci de faire avancer le pays et en premier lieu ce que nous appelions avec autant de tendresse que de naïveté, « la classe ouvrière ». Je crains que ce temps-là ne soit définitivement passé et je le regrette.

Mais comment faire progresser son parti en en ignorant son passé ? Au PPM, nous avons pris dans le domaine de la formation des militants un retard considérable. Ce retard existe depuis très longtemps. Sauf au cours d’une brève période, 1970-1978, pour laquelle on peut suivre assez régulièrement dans le Progressiste l’évolution du programme de formation : périodicité, sujets traités, en tout cas inscrits à l’ordre du jour, notamment sur la question nationale, ce problème n’a jamais tenu une place centrale dans nos préoccupations, malgré les appels ou les rappels fréquents de Camille et de Césaire.

La situation s’est sans doute aggravée ces derniers temps.  La nouveauté, la multiplicité et la complexité des défis auxquels sont confrontés les militants, souvent récemment venus à la politique, exigent un effort sans précédent de rigueur  dans la mise en place d’un système cohérent de formation : vérification des acquis, évaluation des besoins, publication de textes à défaut de livres, de BI (Bulletins Intérieurs), élaboration d’un plan adapté au niveau des camarades et aux exigences les plus immédiates de la période.  Peu après notre arrivée au Parti en octobre 1982, Christian Louise-Alexandrine, à la demande de Camille Darsières, avait élaboré un plan de formation dont je tiens l’original (manuscrit) à la disposition de camarades intéressés. Ce plan très ambitieux, peut-être trop, ne correspondait pas à la demande.

Camille avait une très haute idée de la fonction de formateur, même s’il a pu lui arriver de manifester une incroyable indulgence pour des bluffeurs, pourvu qu’ils fussent capables de faire semblant de connaître Césaire et de lui vouer un attachement par ailleurs probablement très sincère. J’ai eu l’occasion à deux ou trois reprises, quelque temps avant sa mort, de lui signaler combien m’inquiétait notre situation dans ce domaine de la formation, le seul sur lequel il nous soit interdit de nous tromper. Je l’ai fait au mois d’octobre 2006, notamment à propos de l’invraisemblable ratage du 50e anniversaire de la Lettre à Maurice Thorez, auquel il m’avait paru accorder une importance majeure.

Au-delà de la réponse faite dans cette brochure à un camarade dont les intentions sont tout à fait louables, mais dont la principale faiblesse me semble être  une très grande ignorance du rôle joué par notre ancien secrétaire général dans  le parti et dans le pays, il y a dans la pérennisation de la mémoire de Camille Darsières un enjeu qui dépasse de loin sa personne et son parti. Dans la conjoncture actuelle, où « les Rastignac piaffant d’impatience » ne sont pas moins dangereux que « les condottieres grisonnants[[3]]url:#_ftn3  » et parfois nostalgiques, il n’est peut-être pas sans intérêt de faire mieux connaître un homme qui a marqué son temps, beaucoup plus qu’on ne le croit et beaucoup plus qu’il ne l’a cru lui-même.

Plus que l’expression d’une amitié qui n’a strictement rien à voir avec ce que l’on a pris la détestable manie d’appeler un « devoir de mémoire », plus qu’une manifestation de reconnaissance élémentaire, il s’agit d’un devoir d’histoire et de vérité sur un camarade qui mérite d’être étudié et pas simplement d’être honoré, d’être compris et pas d’être flatté et, par-dessus tout, d’être respecté

Un projet qui vient de loin
 
La réponse au seul camarade en désaccord avec nous n’a été cependant qu’un prétexte. L’idée de faire un bon travail sur Camille me travaillait depuis quelque temps. En premier lieu pour compléter un ouvrage sur Césaire, en préparation depuis une bonne décennie. Il s’agissait d’un recueil de textes, parfois déjà publiés mais le plus souvent inédits, écrits entre 1978 et 2006. Ce recueil devait s’intituler « Nous sommes des nains sur les épaules d’un géant, Aimé Césaire -». Nous espérions le faire sortir en octobre 2006 pour le cinquantième anniversaire de la lettre de Césaire à Maurice Thorez. Des extraits en ont été publiés dans Le Progressiste à cette occasion. Les circonstances de ce cinquantenaire manqué nous ont amené à en différer la publication.

C’est le hasard d’une rencontre à Paris, en mai 2006, avec le directeur du Dictionnaire Biographique du mouvement ouvrier de Maitron , Claude Pennetier, quelques mois avant la mort de Camille, qui a relancé ce projet.  Je m’étais étonné, auprès de Claude Pennetier, de ne pas trouver dans le Maitron un seul article sur des hommes ou des femmes ayant marqué le mouvement ouvrier à la Martinique. Et d’abord sur Césaire, bien entendu. Mais aussi sur quelques uns de ses plus proches compagnons, le docteur Aliker et surtout un homme que je connaissais fort bien, un copain de plus de soixante ans, Camille Darsières. « Chiche, m’avait-il dit. Tu me fais ce papier sur Darsières ».

Cela tombait bien. Le directeur du Maitron se proposait justement d’intégrer tous ceux et toutes celles qui ont compté dans le mouvement social antillais. Il m’a envoyé une liste de quelques dizaines de militants communistes martiniquais dont il avait relevé les noms dans les archives de l’ancien Institut Marx-Engels, à Moscou. Césaire y figure (Dossier Moscou 240 2  dans le RGPI) parmi une cinquantaine de noms de militants (transcrits du cyrillique d’où de nombreuses erreurs) célèbres ou moins connus, parmi lesquels Bissol, Bayardin, Brambant, Banidol, Berger, Constant, Dufféal,  Gratiant, Gottin, Guitteaud, Lamon, Mauvois, Ménil, Nicolas, Sylvestre, Vanin, Vigné etc... Il n’avait pas dépouillé les fiches, souvent sommaires, trouvées dans ces archives.   Il souhaitait les compléter le plus vite possible et utiliser les notices du mémoire de maîtrise de Cécile Celma, Le Mouvement ouvrier à la Martinique, 1919-1939, Toulouse, 1972) et tout ce que nous pourrions éventuellement lui signaler.

Il voulait avoir le plus rapidement possible des éléments lui permettant de faire figurer le plus grand nombre possible d’Antillais dans les prochaines éditions du Maitron. Sur Césaire, il  avait  un gros pavé  d’une dizaine de  pages de Laurence Proteau[[6]]url:#_ftn6 , qu’il devait ramener à des dimensions plus raisonnables même pour un Dictionnaire comme le Maitron. Il était prêt à accueillir tout de suite un article sur Camille Darsières. Il m’accordait 9 à 10 000 signes.

J’en ai parlé à l’époque à Camille. Il m’a remercié gentiment. Mais il a estimé qu’il n’avait pas sa place dans un monument comme le Maitron, Il m’a proposé de faire plutôt un article sur Linas Pélière, le premier gérant du premier journal socialiste, Le Prolétaire, paru à Saint Pierre en 1901. Je connaissais le journal mais je n’avais jamais entendu parler de son gérant que dans un discours de Camille . S’il ne m’avait pas proposé de travailler avec moi à cet article, j’aurais vraiment cru qu’il me charriait. Il me fit remarquer que le Maitron existait   justement pour empêcher que ne tombent dans l’oubli ceux qui s’étaient dévoués, en général dans l’anonymat, pour la cause des travailleurs. Je ne connaissais pas Linas ?  C’était une raison de plus de chercher à le connaître pour mieux le faire reconnaître par les travailleurs.

           Il ne m’a évidemment pas convaincu qu’un papier sur Linas serait plus utile au mouvement ouvrier qu’un article sur Darsières. Mais il a consolidé mon sentiment qu’un brillant avocat, ancien député, ancien conseiller général, ancien Président du Conseil Régional, ancien secrétaire général du Parti d’Aimé Césaire, un parti populaire par excellence, un homme de 74 ans qui pensait ainsi, après 46 années d’activités politiques, ininterrompues,  consacrées à la défense des plus pauvres et à l’amélioration des conditions de vie et de travail des plus humbles, méritait largement sa place dans le Maitron.

J’ouvre ici une parenthèse pour indiquer le respect que Camille manifestait pour tous ses camarades. L’une de ses qualités les plus remarquables, c’est qu’il ne laissait aucune demande, aucune lettre, aucun appel téléphonique sans réponse. Je ne connais guère que notre ancien secrétaire général (1967-1970), Rodolphe Désiré, ancien sénateur de la Martinique (1986-2004), maire et conseiller général du Marin, qui respecte scrupuleusement cette règle jusqu’à aujourd’hui. J’ai été plusieurs fois stupéfait par la rapidité des réactions de Camille à une proposition ou à une suggestion. Pendant son mandat de député, ou tout simplement pendant des vacances à l’étranger ou… à l’Anse à l’Âne,   il nous est arrivé de correspondre quasiment en temps réel, avec le décalage horaire.  Je lui adressais un mail à deux heures du matin (8 heures du matin à Paris), et j’avais la réponse  parfois avant d’aller me coucher,  au plus tard à mon réveil.

       C’est qu’il considérait la moindre information et à, plus forte raison, la moindre contribution à un débat comme digne d’intérêt et susceptible de faire avancer le parti. Il ne faisait pas semblant. Il en était incapable. Sur ce point nous nous ressemblions assez. S’il n’était pas d’accord, il le disait, parfois, avec une certaine brutalité. Mais il était capable, de se rappeler trente ans ou quarante plus tard, que c’est vous qui aviez raison.

       C’est à cet incomparable ami fraternel que je dédie cette modeste contribution à la commémoration du onzième anniversaire de sa mort.

Edouard De Lépine
 
 

Pour écouter Camille Darsière cliquez sur le bouton de démarage de cette vidéo attendre environ une minute pour avoir les son. Ce reportage vient des archiges de Mano Lutobi qui dispose d'archives qu'il met à la disposition des internautes à l'adresse suivante : http://www.manoradiocaraibes.com/hommage_a_camille_darsieres.ws

Victor HAUTEVILLE

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