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A PROPOS DU PROJET DE LOI LUREL DE REGULATION ECONOMIQUE OUTRE-MER : COMMENT LUTTER REELLEMENT CONTRE LA VIE CHERE ? Par Michel BRANCHI


Rédigé le Jeudi 15 Novembre 2012 à 00:20 |

Rédaction du Naïf Par RETENU POUR VOUS : Le projet de loi Lurel de lutte contre la vie chère dit de « régulation économique outre-mer » a rappelé que la question de la vie chère reste un problème crucial en Martinique et dans les autres pays dénommés « DOM »


A PROPOS DU PROJET DE LOI LUREL DE REGULATION ECONOMIQUE OUTRE-MER : COMMENT LUTTER REELLEMENT CONTRE LA VIE CHERE ? Par  Michel BRANCHI
POURQUOI UN PROJET DE LOI CONTRE LA VIE CHERE DANS LES DOM ?        
Tout simplement parce que, dans le système qui nous régit et nous intègre à l’économie française, les écarts de prix avec la France sont considérables. Selon l’Autorité de la Concurrence un panier de 100 produits courants importés de France coûte 55 % plus cher en moyenne dans les DOM et 70 % plus cher en Martinique. Dans le même temps le revenu moyen est inférieur de 38 % dans ces pays par rapport à la France.
 
POURQUOI CE PROJET DE LOI MAINTENANT ?
C’est que le candidat François Hollande n’a pas oublié les révoltes sociales qui se sont produites simultanément en Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion et ensuite à Mayotte récemment devenue département. Il avait donc pris l’engagement de lutter contre la vie chère outre-mer, notamment en encadrant les prix des produits de première nécessité  Victorin Lurel, dans le bilan réalisé par le Parti socialiste sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy(« Outre-mer : le vrai bilan de Nicolas Sarkozy » de janvier 2012), reprochait à sa prédécesseure au ministère de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard, de n’avoir pas utilisé la possibilité offerte par la Lodéom de mai 2009 de réglementer les prix de première nécessité. Il dénonçait : « Un seul exemple : la possibilité offerte désormais au Gouvernement par la LODEOM de réglementer certains prix outre-mer n’a toujours pas été utilisée tout simplement parce que la ministre de l’outre-mer ne le considère pas nécessaire(…) », accusait-il.  Et un rapport du Think Tank socialiste « Terra Nova » sur l’Outre-mer signé de Marc Vizy, chef de cabinet de Victorin Lurel quand il était président du Conseil régional de la Guadeloupe et son conseiller, proposait d’ « agir sur les prix outre-mer en renforçant les moyens de contrôle de l’Etat, en encadrant plus fortement les marges (…) » ( « Les outre-mers dans la République » de janvier 2012).
En réalité, la question de la vie chère est consubstantielle à la départementalisation. Il est significatif que le premier effet de la départementalisation à Mayotte ait été de provoquer une révolte contre la vie chère. Exactement comme la départementalisation avait engendré les luttes des fonctionnaires dans les années 1950 en Martinique contre les discriminations ayant abouti à la majoration de 40 % dite par la suite « prime de vie chère ».
Que penser du projet de loi de Victorin Lurel ?
Disons simplement qu’il n’est pas, pour l’heure, à la hauteur de la situation. Il se situe dans le même sillage néo-libéral que les préconisations du fameux Comité interministériel de l’Outre-mer (CIOM) réuni en novembre 2009 par Nicolas Sarkozy. Il fait reposer essentiellement la lutte contre la vie chère sur l’idée que la baisse des prix ne peut résulter dans les pays d’outre-mer que par l’injection d’une nouvelle « dose de concurrence ».Or, c’est précisément ce qui a été tenté sans effet par les gouvernements de droite et de gauche depuis la libération des prix par l’ordonnance Chirac-Balladur de 1er décembre 1986. A la suite de l’Autorité de la concurrence, l’étude d’impact du projet de loi Lurel constate contradictoirement que, par nature, la concurrence est limitée dans les petites économies insulaires. Ce constat rend tout à fait vain l’espoir d’instaurer de la concurrence par décret. Une croyance « malpapaye ». De surcroît, la plupart des mesures proposées existent déjà, à des degrés divers, dans l’arsenal juridique actuel sur la concurrence (Code de commerce) : refus des exclusivités commerciales d’importation, abus de dépendance économique des importateurs-grossistes, abus de positions dominantes, refus des concentrations excessives, etc.
 
RESUMONS LA CRITIQUE DE CE PROJET :
1°) Alors que dans son programme, comme on l’a vu, François Hollande s’était prononcé pour l’encadrement des prix des produits de première nécessité, le projet écarte, par principe, toute option de contrôle des prix considéré comme « risqué » et « inefficient ». 
2°) Si le projet propose des mesures théoriquement utiles contre les abus et les pratiques anticoncurrentielles notamment des monopoles et oligopoles qui dominent nos économies, le plus souvent leurs conditions de mises en œuvre sont compliquées, aléatoires et longues. Le projet ne se donne pas les moyens juridiques suffisants de rendre effectives les louables intentions qu’il affiche en matière de contrôle des marchés de gros et de la chaine logistique, y compris le fret, d’interdiction des exclusivités, de contrôle de la création de grandes surfaces, de concentration excessive dans la distribution et de démolition des positions dominantes existantes. Les lobbys patronaux pourront, comme ils le font déjà, paralyser l’action de l’Autorité de la concurrence par du contentieux juridique dilatoire.
 
3°) Les mesures de contrôle et d’application écartent largement le niveau local et sont essentiellement confiées à des organismes situés au niveau du pouvoir central, comme l’Autorité de la concurrence qui a brillé par son inertie et son inefficacité depuis la libération des prix en 1986. Le temps moyen de traitement d’une affaire par cette instance est de 3 à 4 ans. A titre d’exemple, une affaire de pratique anticoncurrentielle que nous avons traité a mis dix ans pour parvenir à sa conclusion définitive. Entre temps, le principal délinquant avait délocalisé ses activités hors de la Martinique. Et son repreneur lui-même avait vendu ses actifs.
Victorin Lurel fait un pas vers une certaine réglementation des prix
Au Sénat le 26 septembre, le projet a été adopté avec un certain nombre de modifications importatantes.
La plus importante est la présentation par le gouvernement lui-même d’un amendement sous la forme d’un article 6 bis modifiant l’article 1er de la  Lodéom de mai 2009 qui permettait déjà de réglementer les prix des produits de première nécessité dans les DOM et les COM qui n’ont pas la compétence prix.
 
ARTICLE 6
Cet article 6 bis fait obligation au Préfet de négocier chaque année un accord de modération de prix global  d’une liste limitative de produits de consommation courante avec les représentants du commercez dans le cadre de l’Observatoire des prix. En cas d’échec de la négociation, le préfet peut un mois après fixer les modalités d’encadrement de ce prix global par arrêté. Dans tous les cas, les prix sont contrôlés et les manquements éventuels relevés par les agents de l’ex-DGCCRF. Encore faut-il que ces services soient reconstitués avec des agents formés de préférence originaires des DOM. .
Par conséquent, contrairement à ce qu’affirmait Victorin Lurel pour masquer son choix néo-libéral de ne pas « administrer » les prix, il est possible juridiquement de contrôler les prix, même s’il s’agit d’une liste dite « limitative » et de ne se référer qu’aux prix les plus bas pratiqués (et non baisser les prix).
Il s’agit d’une avancée certes timide, mais d’une avancée sous la pression de tous ceux qui ne se résignaient pas d’un projet de loi en trompe l’œil.
Reste à préciser combien de produits, qu’entend-t-on par produits de « consommation courante », quel niveau de prix, pourquoi fixer un prix global et pas le prix de chaque produit du panier choisi, etc. Pourquoi seuls les prix de détail sont concernés et pas les prix des importateurs-grossistes ?   
 
QUELLES SONT DONC LES VERITABLES CAUSES DE LA VIE CHERE ?
Il est couramment allégué la distance et l’éloignement, puisque, en vertu du maintien du Pacte de l’Exclusif colonial qui perdure sous des formes nouvelles dans le cadre départemental, nous achetons tout ou presque en France et en Europe. Cela induit des frais de transport élevés. De même les lobbys de l’importation mettent en accusation l’octroi de mer taxé d’être inflationniste.
Suite aux révoltes sociales de février et mars 2009 aux Antilles et en Guyane, pour la première fois depuis la libération des prix, le pouvoir central a demandé à l’Autorité de la Concurrence de faire la lumière sur les « mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les DOM ».
Dans l’avis n° 09-A-45 qu’elle a rendu le 8 septembre 2009, cette instance a relativisé le rôle de ces facteurs. Elle a mis en évidence le quasi-monopole de transport de la Compagnie CMA-CGM associée à Marfret et des tarifs de fret élevés. Elle a rappelé que l’existence d’une TVA moindre aux Antilles et à la Réunion, voir nulle en Guyane, compensait en grande partie l’impact de l’octroi de mer dans les prix au consommateur.
Elle a conclu que les écarts de prix considérables avec la France s’expliquaient également par des marges commerciales élevées souvent supérieures à 40 %, par l’existence d’intermédiaires dans le circuit commercial, un niveau de concentration commerciale relativement élevé et par des pratiques commerciales peu orthodoxes (non répercussion des marges arrière, multiplication anarchique des promotions par exemple).
Citons : «  A nouveau, une analyse conjointe des taux d’octroi de mer et des charges de fret conduit à la conclusion que ces frais d’approche, et l’octroi de mer en particulier, ne suffisent pas à expliquer l’intégralité des écarts observés(…) Il convient donc de rechercher au travers d’autres éléments structurels ou comportementaux, l’explication de la majeure partie des écarts de prix observé ».
Les « éléments structurels ou comportementaux », ce sont les marges élevées, les circuits commerciaux trop longs et les pratiques commerciales anormales cités supra.
 
AU CŒUR DE L’ACCUMULATION NEO-COLONIALE
Nous touchons là au cœur du système d’accumulation capitaliste dans les néo-colonies départementales Ce n’est pas par hasard que les groupes martiniquais GBH, Parfait, Huygues-Despointes et Ho-Hio-Hen figurent dans le classement 2012 des 500 premières fortunes de France de la très libérale revue économique « Challenge » (n° 109 du 12/07/2012) :
-           GBH : classé 155ème avec une fortune évaluée à 275 millions d’euros ;
-           Robert Parfait et famille : 186ème au classement avec une fortune évaluée à 200 millions d’euros en 2012 ;
-           Famille Ho-Hio-Hen : 257ème au classement avec une fortune de 130 millions d’euros ;
-           Famille Huyghes-Despointes, également 257ème au classement avec 130 millions d’euros.
On notera que toutes ces fortunes se sont constituées principalement dans l’import-distribution.
Signalons également les conclusions de l’étude du cabinet d’experts Syndex réalisée pour le compte du syndicat CFDT-Martinique(«  Le pouvoir d’achat dans les DOM-Incidence de la structure des prix et des coûts-Tome 2- La Martinique-Mai 2011) et qui mentionne le fait que les taux de profit brut sont supérieurs en Martinique à ceux réalisés en France : « A la Martinique, pour l’ensemble du secteur marchand, l’effet sur les prix, lié à la dissonance des taux de profit brut sur la période 1998-2006, peut être évalué en moyenne à plus de 9,1 %... ». Les auteurs de l’étude enfoncent le clou : «  Au niveau des ménages, les prix intègrent ainsi non seulement les surcoûts liés aux handicaps structurels comme l’insularité ou encore l’éloignement, mais également ceux liés à l’ensemble des coûts d’organisation et de transaction relatifs à la structuration des marchés. Par ailleurs, les prix intègrent les surmarges de chacun des acteurs tout au long de la chaîne de valeur ».
La surpwofitasyion expliquerait en moyenne les sur-prix à hauteur de 9,1 %.
 
LA RIPOSTE DU PATRONAT
On comprend que les mesures pourtant limitées du projet Lurel aient provoqué un violent tir de barrage des lobbys patronaux : Fedom, Medef, Contact-Entreprises, CCIM, etc.
Ainsi, contre toute réalité,  il est affirmé par Contact-Entreprises, par exemple, qu’il n’y a pas de « monopoles » ou d’ « oligopoles » ou de « concentration », c’est-à-dire d’entraves à la concurrence, que les marges commerciales sont identiques à celles pratiquées en France, que le rôle économique des intermédiaires (importateurs-grossistes) est bénéfique, que la grande distribution aide la production locale, que la vie chère ce n’est pas seulement l’alimentation (ce qui est vrai en partie), etc.
Certaines mesures comme la possibilité de contraindre, en dernier ressort, certaines entreprises en situation de position dominante de céder des surfaces sont dénoncées comme contraires au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre et anticonstitutionnelles alors qu’elles existent déjà dans le Code de commerce. L’article 6 du projet qui devait permettre à la commission départementale d’équipement commercial, à travers un processus compliqué d’autorisation de l’Autorité de la concurrence, d’empêcher une entreprise d’accaparer dans une zone de chalandise plus de 50 % de surface commerciale a été supprimé par Victorin Lurel sous la pression de la Fedom et du Medef.
Il faut signaler qu’une partie du patronat (Syndicat de la grande distribution), sans doute conscient que ce pays peut exploser socialement à tout moment, propose une baisse volontaire des marges sur une trentaine de produits, assortie d’une baisse négociée du fret maritime, d’une aide publique (Europe et/ou Etat français) au transport au titre de la dite « continuité territoriale » et d’une baisse, voire de la suppression, de la TVA sur les produits concernés. Il faudrait augmenter le nombre de produits et encadrer juridiquement un tel accord pour contrôler son application (liberté conventionnelle des prix)
 
QUE FAIRE CONTRE LA VIE CHERE ?
Le Projet de loi sur la régulation économique outre-mer doit être profondément remanié et amendé dans les directions suivantes :
1°) Rétablir l’obligation d’analyser et surveiller régulièrement la formation des prix à tous les stades dans les pays dits d’outre-mer.
2°) Affirmer le principe de l’utilisation conjointe de l’action contre les pratiques anticoncurrentielles et, en cas de nécessité, des différents degrés d’encadrement des prix des produits et services de grande consommation. Et pas seulement de première nécessité comme le prévoit la Lodeom (article 1er).
3°) Donner des pouvoirs d’action aux divers échelons locaux : Etat, Régions, Observatoires des prix et des revenus, associations de consommateurs, etc.
4°) Arrêter l’application du démantèlement des DDCCRF par la politique de révision générale des politiques publiques (RGPP) de Sarkozy et renforcer substantiellement leurs moyens réglementaires et humains, en particulier par des recrutements d’agents originaires des pays concernés.
 Pour répondre à l’urgence le Pouvoir peut prendre immédiatement un décret d’application de la Lodéom-Jego de mai 2009 (article 1er) qui permet de réglementer les prix des produits de première nécessité dans les DOM et les COM qui ne disposent pas de cette compétence. Il faudra définir après une enquête de consommation sérieuse la liste des produits ou famille de produits.
Comment baisser les prix ?
 
POUR BAISSER LES PRIX IL FAUT AGIR SUR TOUTES LEURS COMPOSANTES
*Au niveau de l’achat, il faut réorienter progressivement nos échanges commerciaux, en particulier vers notre environnement géographique pour acheter moins loin et moins cher. Cela implique de changer notre statut de RUP intégrée à l ’Union européenne qui nous maintient dans un Pacte de l’Exclusif moderne.
*Au niveau du transport : On doit obtenir par négociation ou par réglementation la baisse du fret au moins sur les produits de première nécessité et de large consommation notamment en changeant le mode de calcul actuel à la quantité transportée par le calcul à la valeur transportée qui pénalise les produits de faible valeur (produits alimentaires en particulier). Des aides publiques au transport ciblées peuvent être accordées pour les produits de grande consommation, à la condition que des mesures réglementaires soient prévues pour qu’elles soient répercutées dans les prix au consommateur.
*Octroi de mer : On peut moduler encore les taux de l’octroi de mer en les minorant sur les produits de base et en les majorant sur les produits de luxe. Son mode de calcul peut être réformé pour éviter les effets inflationnistes de sa non-déductibilité et l’étendre aux services afin de compenser les recettes perdues sur la baisse des produits indispensables. Mais pour cela il faut que la Région et/ou l’Etat (DIECCTE = ex-DRCCRF) ait la capacité de vérifier si les baisses d’octroi de mer sont répercutées dans les prix au consommateur. En 2009 une bonne partie de la baisse consentie par le Conseil régional de l’époque (plus de 9 millions d’euros) a été empochée par les importateurs puisque, du fait de la liberté des prix, la DRCCRF ne pouvait pas juridiquement contrôler sa répercussion et parce que la Région ne dispose même pas de pouvoir réglementaire pour édicter des règles concernant ses propres décisions (!).
* Marges commerciales : Elles doivent être observées et contrôlées en ce qui concerne les produits et services de grande consommation.
 
En conclusion, la question de la « vie chère » est centrale dans ce pays et appelle quant au fond un autre modèle économique. 
Seule une politique globale des prix, de la concurrence de la consommation, des revenus, de diversification de nos sources d’approvisionnement impliquant les acteurs locaux, peut s’attaquer aux racines de la vie chère. Ainsi notre modèle de consommation calqué sur celui de la France, pays développé, doit évoluer progressivement. Qui dit nouveau « modèle économique » dit aussi pour y parvenir, selon nous, la mise en place d’un véritable pouvoir politique martiniquais. Car c’est le modèle politique de la départementalisation-intégration qu’il faut changer.
 
Michel Branchi
Economiste,
Ex-Commissaire de la Concurrence et de la Consommation
                                                                                                        



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